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Servitude volontaire ou confiance et amitié : Une fable philosophique "L'âne Baudoin Gévaudan et les étincelles"

 

L'âne Baudoin Gévaudan et les étincelles

 

 

Savons-nous tous que le fameux rasoir d'Occam

Ne permet pas de se raser

Mais qu'il permet seulement de trancher les situations les plus complexes.

Le conte suivant s'en veut l'illustration.

 

Tout le jour, sous un soleil un peu froid,

Le troupeau de moutons du berger Pierre Solitude

Avait cheminé le long du versant est du vallon de sellevieille,

Etalé depuis le sommet jusqu'en bas,

 

Broutant l'herbe drue,

Dans un grand concert de bêlements,

De sonnailles du bouc Georges Ermenon,

De cris des marmottes offusquées par ce tintamarre.

 

Sur la ligne de crête

Se tenait Charles-Médor Craps

Le chien en charge

De la protection du troupeau.

 

Au fond du vallon avançait l'âne Baudoin Gévaudan qui portait le nécessaire

Pour une semaine de séjour

Dans la cabane en contrebas du lieu-dit « le trou des corneilles»,

En plus de son maître.

 

A la tombée du jour tout ce beau monde avait atteint sa destination

Et chacun de vaquer à ses occupations.

La nuit attendait patiemment

Pour dévaler la pente et prendre ses aises.

 

L'âne Baudoin Gévaudan se prélassait dans le pré profitant des ultimes rayons de soleil.

Pierre Solitude avait rallumé le feu Waldemar Feuerstein

Duquel de multiples étincelles tentaient sans cesse de s'échapper

Pour le moment en vain.

 

Puis la nuit fut là avec son manteau de fraicheur.

Une étincelle en profita pour s'échapper de Waldemar qui ronronnait à présent

Et virevolta au-dessus de Baudoin.

Elle se nommait Viviane Ruisselante.

 

Baudoin, un peu inquiet, la héla:

- Holà! Que fais-tu? Tu ne vas pas te poser sur ma panse au risque de la brûler!

- Ne crains rien ! Mon intention est de m'éloigner le plus loin possible de ce feu infernal!

- Infernal ne me semble pas l'adjectif approprié!

 

- On voit bien que tu ne le connais pas!

- Comment cela ? Je ne le connais pas! Bien sûr que oui, je le connais!

Il me réchauffe tous les soirs empêchant mes rhumatismes de me faire souffrir.

- Et bien moi, je n'en peux plus de vivre avec ce matou ronronnant et plein de suffisance!

 

- Certes, il est toujours jovial et content de lui! Mais comment le lui reprocher? Il est si utile.

- Utile, lui ?

- Oui, avança un peu troublé notre asinien ami.

- Utile pour les humains et vous malheureux quadrupèdes! Et encore?

 

Vous les ânes et les chiens ne vous rendaient pas compte que ce feu ne vous sert à rien.

Avez-vous besoin pour vous nourrir de cuire vos aliments ?

- C'est-à-dire que... hésita Baudoin Gévaudan.

- C'est-à-dire, rien du tout!

 

Ce disant, Viviane Ruisselante se permit une acrobatie

Qui l'amena tout près de l'oreille droite de l'aliboronesque quadrupède

Qui ne put s'empêcher d'esquisser un mouvement de recul.

- Nous autres, que pourrions nous faire sans l'aide apportée par nos maîtres? Questionna-t-il.

 

- Aide qui n'est absolument pas gratuite, songes-y.

Toi, toute la journée à transporter des charges plus lourdes les unes que les autres;

Quant à ton confrère, comment s'appelle-t-il déjà?

- Charles-Médor Craps!

 

De la famille des Craps dont un des membres a subi bien des avatars,

Abandonné qu' il fut par ses maîtres!

Je crois bien qu'il a fini à l'asile...

Et même, semble-t-il, euthanasié pour cause de salubrité publique.(1)

 

- Ton Charles Crédor Maps, est...

- Excuse-moi, Charles-Médor Craps...

- Pourquoi? Qu'est-ce que j'ai dit?

- Heu, Charles Crédor Maps...

 

Peu importe Charles Crédor Maps ou Charles Drécor Spam!

Lui est contraint toute la journée de courir après ces moutons bêlants

Et, la nuit de veiller pour éviter qu'un de ces énergumènes de loup

Ne vienne en dévorer quelques uns. Et que fait votre bienfaiteur?

 

- C'est-à-dire qu'il....

- Qu'il quoi?

- Nous laisse la lourde responsabilité de la conduite et de la garde de son troupeau...

- Comme maintenant bien installé dans son hamac à contempler la pleine lune!

 

- Mais moi aussi, il me laisse contempler la lune,

Confortablement installé dans ce pré moelleux et appétissant.

- Oui, après que tout le jour tu l'as transporté sur ton échine en plus de tes charges!

- On ne peut vivre oisif tout le jour.

 

Chacun à un labeur à accomplir,

Comme par exemple ce feu dont tu viens de t'échapper

Et qui non seulement me réchauffe mais aussi mon maître.

- Tu ne vas pas me faire des reproches et me traiter de paresseuse, par exemple!

 

- Excuse-moi, telle n'est pas mon intention!

Je comprends que tu puisses désirer toi aussi un moment de repos bien mérité...

- Encore heureux!

- Cependant...

 

- Oui?

- Que peux-tu faire à présent que tu t'es éloigné de ton feu?

Ne vas-tu pas disparaître ainsi toute seule?

- Et quand bien même!

 

- Tu n'as pas peur?

- Oui, un peu, mais je préfère mille fois l'aventure à cette routine que de me consumer

Pour cet humain déplaisant et malodorant! D'ailleurs je ne suis pas seule, regarde.

En effet une myriade d'autres étincelles s'échappaient des braises

 

Que le berger Solitude venait de remuer pour activer le feu

Qui se mit à ronfler pour réchauffer le récipient pansu de daube

Qu'il venait de poser sur lui.

Baudouin Gévaudan se recula pour mettre un peu plus de distance avec le feu.

 

Se réchauffer oui, se brûler non.

Notre asinien ami était un être prudent sinon timoré.

Viviane Ruisselante fut tentée de le railler,

Mais sa commisération l'emporta, elle l'interpella :

 

- Réfléchis bien. Ton intérêt est de t'éloigner de la compagnie des humains

Comme de ce feu fumant au service de leur goinfrerie!

- J'hésite...

- Je te comprends, il n'est pas facile de mettre fin à une vie de servitude.

 

- Elle n'est pas dénuée d'avantages...

- Très minimes en comparaison de ses inconvénients! Courage!

Notre aliboronesque ami pesait le pour et le contre.

Il songeait à son célèbre et décrié collègue

 

Qui avait semblé incapable mourant de faim et de soif

De choisir entre un picotin d'avoine et un seau d'eau.

Allait-il aussi se ridiculiser de la même manière

Devant Viviane Ruisselante et toutes ses compagnes qui l'avaient rejointe?

 

- Comment faire la part des choses?

Comment être sûr de choisir à bon escient?

Si je m'enfuis ne serai-je point poursuivi, rattrapé, battu?

- C'est un risque! C'est pourquoi tu dois attendre la nuit complète

 

Pour t'éloigner

Et en profiter pour mettre le plus de distance entre toi et cet humain malsain!

- Certes! Mais je ne sais toujours pas quelle est la bonne décision!

Comment savoir?

 

Une grosse étincelle un peu philosophe du nom de Coralie Embellie intervint:

- Puis-je me permettre de proposer un moyen de trancher ce problème?

- Bien entendu, dit Viviane Ruisselante

Qui commençait à perdre de son éclat et s'impatientait.

 

- Voici, fit Coralie Embellie, il faut utiliser le rasoir d'Occam.

- N'est-ce point dangereux? Demanda notre prudent ami.

- Absolument pas! Ce rasoir d'Occam n'est en fait pas un rasoir

Mais un principe philosophique...

 

- Mais je n'y comprends rien à la philosophie! s'exclama Baudoin Gévaudan.

Il est de notoriété publique que nous les ânes

Passons pour les animaux les plus stupides et les moins susceptibles de philosopher,

Si ce n'est pour illustrer la Bêtise

 

Aux yeux des philosophes nominalistes, fabulistes et consorts.

Rappelez-vous cette fable de l'âne de Buridan, mourant de faim et de soif,

Qui se serait laissé mourir de soif incapable de choisir entre boire ou manger son picotin.

- Vous avez tout à fait raison, cher Baudoin, mais comme vous le soupçonnez ,

 

Aldebert des Losges, ainsi se nommait le soi-disant âne de Buridan,

Ne s'est pas laissé mourir!

- Et pour cause, répliqua Baudoin, il a eu une nombreuse descendance

Et je crois me souvenir que grand-mère m'a affirmé

 

Que nous avions un seizième de sang de la famille des Losges!

- Or comment Aldebert des Losges a-t-il réussi à se tirer de ce mauvais pas

Dans lequel l'avait mis ce Buridan condescendant,

Soi-dit en passant, comme tout humain, justement par l'utilisation du rasoir d'Occam...

 

On peut mettre en doute que ce rasoir soit d'Occam, ajouta Viviane Ruisselante

De moins en moins étincelante.

Bien plutôt, ce principe remonte à une haute antiquité

Et aurait été depuis toujours,

 

Le principe de vie numéro un des êtres non-humains.

Il est d'utilisation universelle parmi vous les mammifères.

- Comment se fait-il que je ne le connaisse pas?

- Vous le connaissez!

 

Vous l'utilisez tous les jours,

Mais sans savoir qu'on le nomme le rasoir d'Occam,

Par la malveillance des humains qui se se l'ont approprié

Et l'on ainsi nommé pour vous tromper

 

Et asseoir leur domination sur vous, quadrupèdes domestiqués.

- Pourquoi ai-je donc tant de mal à me sortir du dilemme

Dans lequel vous m'avez plongé, chère Viviane, chère Coralie?

- Sans doute par mauvaise habitude

 

De vous en remettre pour toutes décisions

A ce sauvage de Pierre Solitude, avança Coralie.

On perd vite son autonomie de décision à s'en remettre à autrui.

C'est connu, les mauvaises habitudes sont filles à s'installer sans retard au logis

 

Et deviennent des marâtres difficiles à chasser, ajouta Viviane.

- Je crois deviner, maintenant que vous m'en parlez,

Ce qu'est ce rasoir si mal nommé d'Occam, dit Baudoin.

- A la bonne heure! S'écrièrent de concert nos deux étincelles grésillantes.

 

- Un peu de latin me revient que m'enseigna dans ma jeunesse mon instituteur...

- On vous a enseigné le latin! Vous nous parlez d'un temps antédiluvien cher ami!

- Heu, non, pas si ancien, quoique, comme

nous assistons à une accélération de l'histoire telle...

 

- Accélération pour les humains,

Qui bien entendu comme toujours se trompent.

Comme si le temps était sujet à variations!

Mais nous vous écoutons, cher Baudoin.

 

- Voici, hem, hem, Pluralitas non est ponenda sine necessitate,

je traduis, une pluralité ne doit pas être posée sans nécessité.

- Bravo! Autrement dit, de n hypothèses, la plus juste est la plus simple! Fit Coralie.

- L'hypothèse la plus simple est toujours la vraie,

 

Ajouta Viviane. Foin des complications!

- Foin de l'obscurité!

- Des clartés obscures!

- Des silences éloquents!

 

- Des guerres propres !

- Des frappes chirurgicales!

- Pourtant, interrompit Baudoin Gévaudan,

« Cette obscure clarté qui tombe des étoiles», de Corneille est un très beau vers!

 

Certes, comme «Elle se hâte avec lenteur» de l'illustrissime La Fontaine.

Mais dans ce cas, il s'agit de poésie. Tout est permis au poète! S'exclama Coralie.

A eux seuls et surtout pas aux diplomates et aux hommes politiques

Avec leurs «guerres propres»,leurs «frappes chirurgicales»

 

De détestables mémoire! Ajouta Viviane.

- Vous avez raison.

- Donc mon cher Baudoin vous voilà armé pour trancher votre alternative!

- Vous croyez?

 

- Ne soyez pas timoré!

- Vous avez raison!

- Soit la liberté!

- Soit l'esclavage!

 

- Mot un peu fort, remarqua Baudoin.

- Que nenni, l'esclavage avec toutes ces charges à porter jour après jour,

Ou bien la liberté de n'en faire qu'à sa tête

Sans avoir de compte à rendre à quiconque.

 

- Plutôt qu'esclavage je parlerai de responsabilité, d'utilité,

N'en déplaise à Etienne de la Boétie, ce que vous appelez esclavage

Est pour moi collaboration avec Pierre Solitude

Pour aider nos moutons à fournir leur laine aux humains.

 

- Vous êtes incorrigible! S'écria Viviane Ruisselante

Avant de s'éteindre complètement.

- Vous êtes décidément fidèle à votre réputation,

Ajouta Coralie Embellie dans un ultime grésillement.

 

Baudoin Gévaudan s'approcha du feu

Qui continuait de délivrer sa réchauffante chaleur

Tandis que la nuit était complètement tombée,

Que les étoiles avaient remplacé les étincelles à présent disparues,

 

Que Pierre Solitude donnait à Charles-Médor Craps

Ses dernières instructions pour la garde du troupeau pendant la nuit

Et lui caressait l'échine, puis se tournait vers son âne et lui disait:

- Nous pouvons dormir tranquille.

 

Demain nous avons un gros transport à faire, repose-toi bien.

Baudoin agita ses longues oreilles en signe d'acquiescement.

Il étira ses pattes et s'allongea pour rêver

Tout près du feu Waldemar Feuerstein

 

Qui lui chantonna sa noctidienne berceuse.

Avant de s'assoupir sous le regard de la lune

Il fut sûr d'avoir choisi la solution la plus juste,

la plus satisfaisante pour lui et pour tout le monde.

 

Vous pouvez

Deviner laquelle

En vous servant de

Ce fameux rasoir d'Occam.

 

 

 

  1. Voir le conte « Noé le lampadaire et Jonas le clochard » dans le recueil de contes « Un monde meilleur est possible »

    http://www.amazon.fr/Monde-Meilleur-Est-Possible/dp/2748342976/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1302759100&sr=1-1

Servitude volontaire ou confiance et amitié : Une fable philosophique "L'âne Baudoin Gévaudan et les étincelles"

Tout près du feu Waldemar Feuerstein qui chantonnait sa noctidienne berceuse

 

 

 

Tag(s) : #Poésie, #Ethique
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